Chat Control 2.0 : le retour furtif de la surveillance des messages privés en Europe

Sommaire

Imaginez que quelqu’un puisse lire vos messages avant même que vous ne les envoyiez. Que chaque photo partagée avec vos proches, chaque conversation intime soit systématiquement passée au crible par des algorithmes. Ce scénario digne d’un roman d’anticipation pourrait bientôt devenir réalité en Europe avec le projet « Chat Control 2.0 ».

Après avoir été rejeté suite à une forte mobilisation citoyenne, ce dispositif controversé de surveillance des communications privées refait surface sous une forme déguisée, prétendument plus souple, mais en réalité encore plus invasive. Le juriste Patrick Breyer, ancien député européen et défenseur des libertés numériques, tire la sonnette d’alarme : la Commission européenne tenterait de réintroduire par la petite porte ce qui avait été refusé par la grande.

Un projet qui ne dit pas son nom

Le nouveau texte ne parle plus explicitement de « scan obligatoire » des messages. À la place, il impose aux fournisseurs de services de messagerie, d’email et de réseaux sociaux de prendre « toutes les mesures appropriées d’atténuation des risques ». Une formulation floue qui, selon Patrick Breyer, constitue une véritable faille permettant d’imposer la surveillance généralisée de toutes les communications privées.

Concrètement, cette obligation pourrait contraindre WhatsApp, Signal, Telegram et tous les autres services à scanner automatiquement vos échanges, y compris ceux protégés par un chiffrement de bout en bout. La technique envisagée, baptisée « scan côté client », permettrait d’analyser vos messages directement sur votre téléphone avant même leur envoi. Votre appareil deviendrait en quelque sorte un espion à votre service… ou plutôt contre vous.

Une intelligence artificielle pour juger vos conversations

Contrairement à la première version de Chat Control qui se limitait aux photos et vidéos, cette mouture 2.0 étendrait la surveillance aux textes et aux métadonnées. Des algorithmes d’intelligence artificielle analyseraient vos conversations à la recherche de contenus « suspects ».

Le problème ? Ces intelligences artificielles sont incapables de comprendre le contexte d’une discussion. Comme le souligne Patrick Breyer avec une pointe d’ironie : « Aucune IA n’est capable de faire la distinction entre un flirt, un sarcasme et un grooming criminel ». Un message contenant les mots « amour » ou « rencontre » pourrait déclencher une alerte, qu’il s’agisse d’une conversation avec votre partenaire, votre enfant ou votre thérapeute.

Les chiffres de la police allemande sont d’ailleurs éloquents : environ la moitié des cas signalés par les systèmes actuels s’avèrent sans fondement. Avec une extension massive de ce dispositif, les faux positifs pourraient se multiplier de manière exponentielle.

La fin de l’anonymat en ligne

Le projet va plus loin en imposant une vérification d’identité obligatoire pour créer un compte sur une messagerie, un service d’email ou un réseau social. Concrètement, il faudrait présenter une pièce d’identité officielle ou se soumettre à un contrôle biométrique.

Cette mesure signe la fin de facto de la communication anonyme sur internet, essentielle pourtant pour les lanceurs d’alerte, les journalistes d’investigation, les militants politiques ou simplement les personnes en détresse cherchant de l’aide. Une disposition particulièrement préoccupante interdit également aux mineurs de moins de 16 ans d’utiliser les messageries et réseaux sociaux dotés de fonctions de chat. Patrick Breyer dénonce une mesure « paternaliste, déconnectée de la réalité et pédagogiquement absurde » qui risque d’isoler les jeunes de leurs principaux canaux d’échange et d’apprentissage.

Un tour de passe-passe politique

Ce qui rend cette situation particulièrement problématique, c’est la manière dont le texte revient. Plusieurs États membres, dont l’Allemagne, les Pays-Bas, la Pologne et l’Autriche, avaient clairement dit « non » au contrôle indiscriminé des communications. Face à cette opposition, la Commission européenne n’a pas renoncé : elle a simplement reformulé sa proposition en masquant les éléments les plus controversés sous des termes édulcorés.

« Il s’agit d’une tromperie politique de premier ordre », s’insurge Patrick Breyer. « Le public est pris pour des imbéciles ». Le texte pourrait être adopté à huis clos, sans véritable débat public, alors qu’il concerne potentiellement 450 millions d’Européens.

Que peut-on faire ?

Heureusement, tout n’est pas perdu. Le Parlement européen avait adopté une position forte contre ce type de surveillance en 2023, et certains gouvernements maintiennent leur opposition. Patrick Breyer appelle ces États à rester fermes et à bloquer le compromis actuel au Conseil de l’Union européenne.

Il propose des modifications précises : garantir que l’« atténuation des risques » ne puisse servir à imposer le scan généralisé, interdire la surveillance par IA des conversations textuelles, imposer un contrôle judiciaire strict des enquêtes ciblées, et préserver l’accès anonyme aux outils de communication.

Des initiatives citoyennes comme les campagnes Stop Scanning Me et stopchatcontrol.fr permettent à chacun de se mobiliser. Car au-delà des aspects techniques, c’est un choix de société qui se dessine : voulons-nous vivre dans une Europe où chaque conversation est potentiellement surveillée, ou préférons-nous préserver ces espaces de liberté et d’intimité qui font partie intégrante d’une démocratie ?

Comme le conclut Patrick Breyer : « Ils nous vendent la sécurité, mais nous livrent une machine de surveillance totale. Ils promettent de protéger les enfants, mais punissent nos enfants et criminalisent la vie privée ».

Et vous, que pensez-vous de ce projet ? La sécurité justifie-t-elle selon vous la surveillance généralisée de nos communications privées ?


Sources :

Blason_La_Veuve
100px-Blason_Compertrix.svg_

Bienvenue

Tout est là où vous l’avez laissé.